Le rébétiko, l’âme de la Grèce populaire

Le rébétiko, l'âme de la Grèce populaire

Par Flavie Thouvenin

Lorsqu’on pense à la musique grecque, le sirtaki vient immédiatement à l’esprit. Avec ses pas cadencés et son rythme enjoué, popularisé par le film Zorba le Grec, il fait le bonheur des touristes venus savourer l’atmosphère estivale du pays. Pourtant, à l’ombre des tavernes enfumées et des quartiers populaires d’Athènes, une autre mélodie résonne, plus ancienne et chargée d’émotions : le rébétiko. Ce genre musical populaire, souvent qualifié de « blues grec », a traversé les décennies et les tumultes de l’histoire du pays pour s’imposer comme l’un de ses plus vibrants héritages culturels.

Musiciens et chanteurs de rébétiko au Pirée en 1933
Musiciens et chanteurs de rébétiko au Pirée en 1933 © Wikimedia Commons

Aux origines du rébétiko, entre exil et métissage

Le rébétiko émerge dans les années 1920, à un moment charnière de l’histoire grecque. L’exil forcé des Grecs d’Asie mineure, chassés de Turquie après la guerre gréco-turque de 1919-1922, ainsi que l’exode rural des paysans et des insulaires quittant leurs terres pour chercher une vie meilleure en ville, bouleversent la société hellénique. Ces populations déplacées apportent avec elles leurs traditions musicales, fusionnant les sonorités byzantines et orientales avec les influences locales. Il en résulte un style unique, mêlant complaintes poignantes et rythmes envoûtants, joués sur des instruments traditionnels comme le bouzouki, sorte de luth à long manche, le baglama (un bouzouki plus petit et plus aigu), ainsi que la guitare, le violon ou l’accordéon.

Dans les quartiers populaires d’Athènes et du Pirée, cette musique devient la voix des ouvriers, des déclassés et des exclus de la société. Le rébétis est un marginal, un insoumis vivant en dehors des normes sociales. Le rébétiko reflète alors un monde interlope peuplé de révoltés et d’amoureux déçus. Ses chansons évoquent la dureté de la vie, la prison, l’amour contrarié, l’ivresse de l’alcool et du haschich… Elles sont chantées dans des cafés enfumés, les tekés, où musiciens et amateurs se retrouvent pour partager leurs peines et leurs joies.

À lire également : notre fiche-pays sur la Grèce

Une musique sous haute surveillance

Dans les années 1930, le genre se structure sous l’impulsion de figures emblématiques comme Markos Vamvakaris. Mais il ne tarde pas à attirer l’attention des autorités. En 1936, sous la dictature de Ioánnis Metaxás, le rébétiko est jugé décadent et subversif. Les paroles évoquant la drogue, la prison ou la marginalité sont censurées, et les musiciens traqués. Les fameuses tavernes et tekés où cette musique résonne sont souvent la cible de descentes de police.

Mais la musique résiste. Après la Seconde Guerre mondiale, le rébétiko évolue grâce à des artistes comme Vassilis Tsitsanis, qui lui donne une teinte plus populaire et accessible. D’une musique underground, il devient un phénomène national et s’intègre peu à peu aux établissements chics d’Athènes.

Vue du Pirée, qui fut un des hauts lieux du rébétiko
Vue du Pirée, un des hauts lieux du rébétiko dans les années 30 © Pexels/Maria Vlg
Le Fameux Quatuor du Pirée, dont fut membre Markos Vamvakaris (en haut à gauche), un des plus grands noms du rébétiko
Le Fameux Quatuor du Pirée, dont fut membre Markos Vamvakaris (en haut à gauche), un des plus grands noms du rébétiko © Wikimedia Commons

De la censure à la reconnaissance

Le rébétiko ne s’est pas limité aux frontières grecques. Dès les années 1920, de nombreux immigrés grecs aux États-Unis enregistrent des morceaux à New York et Chicago, contribuant à sa diffusion. Un exemple célèbre est Misirlou, mélodie rébétiko de 1927, que vous connaissez sans doute sans le savoir : elle fut rendue mondialement célèbre en 1994 par sa version rock instrumentale dans la bande-son du film Pulp Fiction de Quentin Tarantino.

Bien que le rébétiko ait connu un déclin dans les années 1960 avec l’avènement de la musique pop grecque, il a bénéficié d’un regain d’intérêt dans les années 1970-1980, notamment auprès de la jeunesse. En 2017, l’Unesco l’a inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité, reconnaissant son importance dans l’identité nationale grecque. Aujourd’hui, il continue d’être enseigné et joué dans des rébétadika (cafés musicaux où se joue le rébétiko), quand des artistes contemporains réinterprètent ses grands classiques et explorent de nouvelles sonorités, transmettant ainsi cet héritage aux nouvelles générations.

Une tradition bien vivante

Pour les amateurs d’authenticité, plusieurs tavernes athéniennes proposent encore du rébétiko en live. Attention cependant : tous les groupes jouant du bouzouki ne sont pas forcément des rébétika ! La plupart des lieux mêlent aujourd’hui morceaux traditionnels et chansons populaires modernes (laïka). L’ambiance y est chaleureuse, et le programme commence souvent tard dans la soirée. Un pan incontournable de la culture hellénique à découvrir absolument !

Pour découvrir le rébétiko, voici deux morceaux représentatifs : un titre de Markos Vamvakaris, figure incontournable du genre, et la version originale de Misirlou.

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